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Dans un rapport rendu public jeudi, le Collectif accès au droit met au jour 448 cas recensés en région parisienne, allant du harcèlement aux violences verbales en passant par des violences physiques graves. « Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg », alerte l’une de ses membres.

Ils entendent « lancer l’alerte » et se saisir d’une question trop souvent passée sous silence. Les membres du Collectif accès au droit (CAD), qui s’inscrit dans une dynamique inter-organisationnelle, publient jeudi 23 novembre un rapport sur les violences policières commises à l’égard des exilé·es en région parisienne.

Durant huit ans, 448 cas concrets ont ainsi été recensés, sur la base de témoignages directs (venant des principaux intéressés), mais aussi des acteurs associatifs ou des résidents témoins de scènes violentes dans les rues de la capitale ou sa banlieue.

« On avait tous un peu des pièces du puzzle, sur la base de constats individuels ou de témoignages recueillis sur le terrain. La question était de savoir comment regrouper ces différentes pièces pour donner à voir l’ampleur du phénomène », explique Paul Alauzy, chargé du programme « Personnes exilées » chez Médecins du monde, membre du CAD.

La publication du rapport tombe trois ans après les événements de la place de la République à Paris, où une action de « visibilisation » menée par l’association Utopia 56 s’était soldée par une répression féroce des forces de l’ordre contre les migrant·es et leurs soutiens.

Les violences recensées depuis 2015 peuvent s’apparenter à un harcèlement policier constant lorsque les exilé·es occupent l’espace public, mais aussi à des insultes ou des propos racistes ; et des violences physiques, le plus souvent caractérisées par des coups ou l’utilisation de matraques et de gaz lacrymogène, pouvant mener à des séquelles graves.

Une demandeuse d’asile afghane et sa fille de trois ans dans une tente à Paris, en 2019. © Photo Nejma Brahim / Mediapart

 

Résultat : 30 % des personnes rencontrées font état d’agressions physiques de la part des forces de l’ordre, 33 % déclarent avoir vu leurs biens confisqués ou détruits et 88 % témoignent d’évictions et de dispersions forcées dans l’espace public. Une troisième violence, complète Louis, un autre membre du collectif, qui vient s’ajouter à celles de l’exil (au moment du départ puis durant le parcours migratoire).

Lors d’une enquête flash réalisée en octobre et en novembre 2023 à Paris sur un échantillon de 103 personnes, plus de deux migrants sur trois déclaraient avoir été victimes de violences policières et presque autant affirmaient l’avoir été à plusieurs reprises.

Un homme raconte ainsi comment, alors qu’il dormait dans une voiture et se faisait régulièrement traiter de « toxico » par des policiers, l’un d’eux lui a « vidé sa bombe de poivre » sur la tête. « J’avais la tête qui brûlait et je ressentais une douleur si forte… Pourquoi !? », interroge-t-il, précisant revoir son agresseur chaque jour.

Une dimension « systémique »

Un autre raconte avoir été emmené au commissariat puis frappé à plusieurs reprises, tout en étant insulté de « fils de pute » et de « fils de chien ». Lorsqu’il a émis le souhait de porter plainte, les policiers l’ont menacé. Une policière lui a malgré tout glissé un bout de papier sur lequel était écrit « IGPN » à sa sortie du commissariat, sans doute consciente de ce qu’il venait de subir.

« C’est important non seulement de les documenter, mais aussi de montrer leurs conséquences. Qu’est-ce que ça dit de notre société, de l’état des droits et des libertés en France ? », pointe-t-il. Le rapport revient aussi sur une « chasse »  aux exilé·es organisée par les forces de l’ordre le 22 septembre 2020, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), contraignant des femmes et des enfants à marcher durant des heures pour être repoussés en dehors de Paris. Plusieurs hommes avaient alors été violentés.

Pour la chercheuse Camille Gardesse, spécialisée en sociologie de l’urbanisme et membre du CAD, ces témoignages viennent montrer une « modalité d’action régulière, voire quotidienne », des forces de l’ordre à l’endroit des personnes exilées. « Ces violences sont révélatrices du répertoire d’action de la police, elles sont systématiques et pérennisées. Il y a une dimension systémique sur laquelle on se doit de porter une réflexion », analyse-t-elle.

Le témoignage d’un migrant recueilli par le Collectif d’accès au droit en octobre 2021. © Capture d’écran CAD

Des violences physiques importantes aux destructions de biens en passant par les évictions, la sociologue entrevoit une « même logique » en toile de fond ; celle d’effacer les exilé·es de l’espace public, de les humilier et de leur infliger une violence récurrente.

« Le message est clair : ils ne sont jamais à l’abri de l’intervention de la police. C’est ce qui les pousse à se réfugier dans des interstices urbains, des endroits souvent cachés et potentiellement dangereux. » Toutes les formes de violences s’articulent entre elles, avec en surplomb le harcèlement policier.

Les données sont par ailleurs largement sous-documentées, précisent les membres du collectif. Sentiment de honte, crainte de représailles, isolement, méconnaissance des démarches judiciaires ou intégration du fait que l’accès au droit est entravé et que leur parole ne sera pas entendue… Les obstacles sont nombreux, et peu d’exilés osent dénoncer les violences qu’ils ont subies.

Quoi qu’il en soit, ces violences se pérennisent aussi parce que les personnes exilées restent en situation de rue, et donc de vulnérabilité, à la merci des forces de l’ordre.

Un certain nombre de témoignages ont d’ailleurs pu être récoltés dans le cadre des consultations médicales ou psychologiques proposées par Médecins du monde. « Les personnes qui témoignent directement sont minoritaires, on sait que c’est la partie émergée de l’iceberg », poursuit Camille Gardesse, également membre de l’Institut Convergences Migrations. Il y a donc un intérêt à leur faire connaître leurs droits et à leur permettre d’y accéder.

« Le but est de les outiller pour y faire face », ajoute Paul Alauzy, de Médecins du monde. Pour aller dans ce sens, le CAD peut être saisi par les exilé·es comme les témoins de violences policières. Les données seront désormais transmises au site violencespolicieres.fr, de façon à les recenser et à les rendre plus visibles. « On communique aussi régulièrement sur les réseaux sociaux pour alerter sur des cas », poursuit-il.

Quoi qu’il en soit, ces violences se pérennisent aussi parce que les personnes exilées restent en situation de rue, et donc de vulnérabilité, à la merci des forces de l’ordre. Ces dernières peuvent agir en respectant les consignes qui leur sont données ou de manière totalement arbitraire, au risque d’abus.

« Le fait d’avoir délégué une question sociale à la police, en apportant une réponse purement sécuritaire, ne convient pas. Cette politique comporte un nœud qui ne peut créer que de la violence pour les exilés », alerte Camille Gardesse, qui dénonce une inadéquation dans la réponse publique.

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