Lettre ouverte à Monsieur Guy LEFRAND, Maire d’EVREUX en réponse à ses propos tenus lors du conseil municipal.
Chaque année, des femmes, des hommes et des enfants quittent leur pays. Ils sont prêts à affronter tous les dangers pour trouver de meilleures conditions de vie. Quand ils parviennent, souvent au péril de leur vie, dans un pays où ils espèrent être en sûreté, ils doivent faire face à de nouvelles réalités. L’accueil qui leur est réservé correspond rarement à leurs espérances et contredit chaque jour les principes que nous prétendons incarner et défendre.
Dans le contexte mondial actuel, marqué par la recrudescence des guerres et l’approfondissement de la crise climatique, les flux migratoires ne semblent pas devoir se réduire, bien au contraire. Ils concernent tous les pays du monde, au premier rang desquels les états limitrophes, en Afrique, en Asie ou au Moyen-Orient, qui sont les premiers à assumer la mission d’accueillir les exilés, malgré des moyens largement insuffisants, et confrontés en outre depuis le début de l’année 2025 par une chute brutale des fonds alloués à l’aide humanitaire, en particulier des Etats-Unis.
Face à cela, sous la pression d’une opinion publique influencée par des courants xénophobes, l’État français durcit les conditions d’accueil des migrants, d’attribution et de renouvellement des titres de séjour, de regroupement familial, d’acquisition de la nationalité française.
L’association Un Toit sous la main intervient auprès des pouvoirs publics avec d’autres associations partageant le même objectif, pour améliorer les conditions d’accueil et d’intégration des étrangers, et principalement, au niveau de l’hébergement de ces personnes en situation de grande vulnérabilité.
Depuis 5 ans et le début de votre second mandat, nous sommes passés de 19000 nuitées d’hébergement à 45000 nuitées par an.
En 2024, 150 personnes auront échappé chaque nuit à la rue grâce à 1 toit sous la main dont 116 à Evreux pour moitié constituée d’enfants.
Conformément au droit, mais aussi aux valeurs républicaines qui irriguent cette municipalité depuis des décennies en participant au financement de nombreuses associations à but humanitaire, nous avons déposé notre dossier de demande de subvention chacune de ces 5 dernières années. Nous n’avons hélas obtenu satisfaction qu’une seule fois pour un montant de 2000 €. Notre structure a pourtant pris l’habitude de faire beaucoup avec très peu et notre coût par nuitée est inférieur à 2€, soit largement inférieur à toutes les autres formes d’hébergement aidé ou mis en œuvre par les pouvoirs publics dans le cadre de leurs missions.
Mais compte-tenu du volume de ces nuitées, les dons des particuliers qui nous soutiennent, bien qu’en augmentation grâce à la générosité de tant de femmes et d’hommes solidaires des plus fragiles, ne peuvent suffire à eux seuls.
Suite au nouveau refus de nous accorder une subvention municipale, des élus de l’opposition vous ont interrogé lors du dernier conseil municipal.
Vous avez tenté de justifier votre décision devant les élus du Conseil Municipal, le public et la presse. Les propos que vous avez tenus à propos de nos associations sont graves et nous apparaissent en contradiction fragrantes avec les faits.
Les mots ont un sens, et quand on vous questionne sur le refus de subvention à notre association, vous répondez « qu’il n’est pas normal que des enfants et des femmes dorment dehors. Mais ce qui n’est également pas normal c’est qu’on laisse tranquille des structures qui amènent des migrants sur notre territoire »
Et vous détaillez les raisons de votre refus « D’abord, dans le cadre de la lutte contre les passeurs clandestins ». Ces insinuations créent un amalgame entre notre association et les réseaux de passeurs clandestins que nous ne pouvons accepter.
Devons nous comprendre que vous accusez notre association de complicité avec les passeurs de clandestins ???
Nous sommes des bénévoles, citoyens solidaires, engagés dans des associations de soutien des droits humains. Nous agissons au nom des valeurs de la république « Liberté, égalité, Fraternité », que de nombreux élus ou représentants des collectivités territoriales semblent actuellement ne plus respecter.
Ce ne sont pas des passeurs qui orientent les personnes vers notre association, mais des intervenants sociaux du département, des enseignants, des citoyens qui considèrent que ces personnes sont en danger.
Savez-vous bien Monsieur le Maire quels sont les bénéficiaires de notre association ?
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Demandeurs d’asile n’ayant pas encore été enregistrés au Guichet Unique des Demandeurs d’asile à Rouen (GUDA), dans la longue attente de l’ouverture de leurs droits. Ce ne sont pas des clandestins !!
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Certains sont toujours en attente d’une orientation par l’OFII vers une structure d’hébergement, plusieurs semaines après leur passage au GUDA
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D’autres demandeurs d’asile, en procédure accélérée, n’ont pas droit aux conditions matérielles d’accueil, et se retrouvent à la rue.
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Ils restent à Evreux où se trouvent les structures caritatives et d’accompagnement et la SPADA de France Terre d’Asile où est domicilié leur courrier.
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Personnes en procédure « Dublin » devant attendre 18 mois avant de pouvoir déposer leur demande d’asile en France.
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Personnes déboutées de l’asile dans une démarche de régularisation à un autre titre de séjour,
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Ressortissants européens en voie d’accès à leurs droits par l’emploi,
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Personnes ayant vu le renouvellement de leur titre de séjour pour maladie refusé et ayant perdu leurs droits.
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et des Mineurs Non Accompagnés pour lesquels le Conseil Départemental a cessé la prise en charge après avoir contesté leur minorité.
Les structures d’accueil des demandeurs d’asile sont en nombre insuffisantes, et de nombreuses familles se retrouvent sans hébergement, les services d’hébergement d’urgence du 115, au niveau départemental étant saturés.
Notre structure qui, à Évreux, est la seule à pratiquer un hébergement inconditionnel, ne peut plus répondre aux besoins, et dans notre cité préfecture, les personnes à la rue sont de plus en plus nombreuses, surtout des femmes avec enfants, mais aussi des MNA que l’ASE refuse de prendre en charge, des personnes en situation de handicap, des femmes enceintes…
Le conseil d’état a confirmé en 2022 l’inconditionnalité de l’accès à l’hébergement d’urgence. Donc, la sortie d’un hébergement d’urgence sans solution de relogement n’est pas conforme à la loi.
Alors que l’État et le conseil départemental manquent à leur devoir, ce sont des citoyens engagés collectivement qui, ici comme ailleurs sur le territoire national font république et honorent les grands principes inscrits dans les conventions internationales qui fondent les états de droit.
C’est dans ce contexte que notre association intervient sans aucune contrepartie financière.
Nous savons que l’hébergement d’urgence n’est pas une compétence de la collectivité que vous dirigez et les finances municipales ont des limites physiques et politiques.
Quelle que soit la situation administrative de chacune de ces personnes, rien ne justifie qu’elles soient condamnées à vivre à la rue. Les Droits Humains Fondamentaux sont les mêmes pour tous et le droit au logement est essentiel.
En tant qu’élu et médecin, vous n’ignorez pas les risques subis par les personnes à la rue, en termes de santé publique, de santé mentale, de troubles du comportement, des défauts d’intégration ou de scolarisation. Ces risques peuvent impacter l’ensemble du corps social. Les exemples sont légion. Comment pouvez-vous vous contenter de dire que ce n’est pas de la compétence de la municipalité, alors que des drames se produisent la nuit, dans la ville que vous administrez ?
Laisser vivre à la rue des femmes enceintes, des mères avec leurs jeunes enfants, des personnes malades ou vulnérables, c’est leur faire violence.
Exposer de jeunes enfants au traumatisme de la rue, c’est un crime.
Un enfant reste un enfant, et ce jusqu’à sa majorité. Et lorsque le conseil départemental remet des adolescents de 15, 16, 17 ans à la rue, c’est une violation des engagements de l’état français, qui a la charge d’accueillir ces enfants.
Face aux divers manquements et insuffisances des autorités pour l’accès aux droits des réfugiés et migrants, les associations font un travail essentiel d’aide, de réconfort, de secours.